Début du Roman "UN AN AVANT LE MUR"
Il marchait, il marchait...
Mer de sable, désert, immensité, absence de repères, petit, paumé au milieu des vagues inertes, avalé par l'espace et le temps, il marche. Pas réguliers, force légère, traces laissées en pointillés derrière, il avance.
Quel est cet être ? On ne voit pas sa tête. Elle est comme ses pieds et son bassin, emmitouflée de tissus aux teintes pastels. Coiffe bleue pâle tirant au mauve, pagne orangé, les pieds dans du vert d'eau. Pas un cheveu, pas même un regard ne dépasse de son casque d'étoffe tombant tout juste sur ses épaules brûlées. La lumière est intense, sa peau nue rouge et cuivre rongé. Ses muscles marquent chacun de leur mouvement de tension-distension, un rythme soutenu et régulier.
Il marche d'une allure quasi mécanique, n'admettant pas le moindre fléchissement. Aucun grain de sable n'enraye ses articulations et la chaleur ne semble pas avoir d'incidences sur la résistance des fibres ligamenteuses qui tiennent bon sa musculature.
Peut-être ne marche-t-il pas depuis longtemps ? Comment est-il possible ? Envoyer un bras, une jambe, puis l'autre, dans un mouvement si régulier et si coulé, ne peut qu'être l'oeuvre d'un athlète entraîné qui a étudié son coup, qui tente un record, une performance, une opération dans le genre défi, challenge. Un aventurier moderne. Ou antique, car il n'est muni d'aucun objet, d'aucun appareil sophistiqué. Personne ne le suit, personne ne le soutient. Aucun véhicule à la ronde. Seul immensément seul, isolé, petit paumé et à la fois si fort et si beau de son intention, il marche, il avance. Ses pieds empaquetés comme dans de gros pansements soulèvent deux raquettes et toujours les mêmes légères gerbes de sable fin qui retombent sur des modelés éoliens étagés en fausses strates sur le versant des dunes. Sa trajectoire est si rectiligne qu'elle semble avoir été calculée pour atteindre un cap. Ce corps avance, sa tête jamais ne se retourne, jamais ne s'incline ni ne pivote sur son cou caché. C'est un robot, une machine qui pourrait être pilotée, téléguidée par quelqu'un à distance, depuis un avion ou de plus haut même, ou simplement depuis la ville la plus proche. Si c'est un homme, comme sa peau l'indique, alors il devrait penser, s'arrêter pour se reposer, boire, se nourrir et pisser. Je cherchais les limites de ce désert qu'il parcourait. Impossible, incommensurable. Toujours les mêmes collines lisses comme des seins. J'étais à la fois angoissé et volontaire à l'idée de le suivre des yeux comme dans un film, pour connaître sa destination. Parfois je m'identifiais à lui et n'osais rien perturber de ce plan séquence tellement il me devenait familier. Il m'inspire une envie : le laisser aller. L'encourager même, pour ne pas risquer d'assister au moment redoutable où il pourrait s'effondrer. Combien de temps pourrait-il encore tenir ? Toute sa vie peut-être ou tant que ses muscles le porteront sur cette terre meuble et cristalline. Soudain mon image s'anime ; le voilà qu'il lève la tête. Il s'arrête. Il semble réfléchir. Il regarde le monde du dedans de lui. C'est un homme ! Il a le soleil dans sa nuit mauve. Il lève les bras puis fait un geste de balancier très lent qui les renvoie vers le haut comme s'il suivait de ses mains tremblantes un long faisceau de lumière. Tout son corps tremble. C'est bien un homme ! Il ressent une émotion, à la limite de la transe. Ces gestes-là vont d'ordinaire avec des paroles ou des pensées. Dessous son bandage il communique avec la lumière. Il ne se décoiffe pas. Il protège son visage et son crâne du soleil. Certes, il n'a nul besoin de voir puisqu'il n'y a rien de changeant autour de lui, rien à portée de son oeil, que du sable, du ciel et de la lumière. Que de la mer ocre brune, jaune et blanche à perte de vue.
Sa tête cherche maintenant quelque chose dans l'air. Il entend comme un bourdonnement qui vient, non pas rompre le silence absolu qui accompagne cette image mais, le mettre au contraire subitement en évidence. Il entre dans ce son. Il l'écoute. Ça fait comme un bruissement incessant. Un point d'orgue rythmique et symphonique à la fois. Un ensemble de milliers de frottements. Un son acide, saturé ou saturant. Un son comme un espace suptile de lien entre la chaleur, le silence et la lumière. Un oiseau blanc y apparait, sillonnant comme en apesanteur le ciel vidé jusqu'alors de toute information. L'homme le désigne comme s'il le voyait réellement. Il renverse aussitôt la paume de sa main gauche et dessine une horizontale sous l'oiseau qui tournoie un instant, avant de s'immobiliser dans un battement d'aile adéquat. Moment de communication fortuite ou magique et l'homme se retourne vers ses propres traces comme s' il remontait du regard, malgré la sinuosité des dunes, jusqu'aux plus éloignées, jusqu'aux moins visibles. Il s'attarde sur ce point de fuite de son passé encore récent, le temps d'évaluer de mémoire la partie qu'il ne pouvait plus apercevoir, puis relance ses raquettes pas à pas. Il est reparti... Non il change de direction. Encore ! Il s'arrête, repart à nouveau. Là, c'est sûr, il pense. Il reprend un pas plus serré en se fixant des repères qu'il se borne à rejoindre quelque soit le dénivelé. Il marche en boucles. Il délire ou il construit ? Il repasse et croise, revient à des lignes déjà tracées. Il s'éloigne dans un sens, revient, puis dans un autre, dans un désordre de directions. Vient-il de perdre la raison de sa marche ou exprime-t-il une intention ? Il ordonne ses pas comme des actes précis, il construit. Il veut dire quelque chose ! Je commence à le comprendre ou à l'interpréter. Il stoppe son manège, se retourne et cherche en deux ou trois hochements, les traces à partir desquelles il avait érigé de ses bras tendus en colonne vers le soleil, un mât ou un arbre. Il repère puis repart dans le sens de la ligne en pointillés tracée jusqu'à son désordre de pas. Un arbre et une branche, oui c'est cela, pour l'oiseau blanc. Pour qu'il se pose et se repose de son périple dans son vaste ciel. Et l'oiseau s'était posé et d' en haut aura pu voir ce que donnaient à comprendre ces traces indéchiffrables vues du sol. Etait-ce un mot pour lui ? Un mot de reconnaissance ? Un mot d'ami qui se trouve dans la même situation ? Dans le même isolement ? Un mot à un semblable dans un espace analogue ? Il a repris sa cadence, il marche, il avance toujours pareil, une raquette devant l'autre. Toujours le même pas régulier. Il avance sur la vie. Il n'a mal nulle part. Il marche, unique et solitaire. "Pas le choix", pensait Ouar en relisant ce qu'il venait d'écrire à la tombée du jour. Juste avant que les cigales ne terminent leur lancinant concert, du fond des pinèdes sèches et résineuses, au-dessus du port.

"Ecoute elles saturent le silence et la lumière
Elles me résonnent ton absence
M'isolent comme en plein désert
Elles me tanquent
Et en terrasse m'emprisonnent
De farniente
Sinon d'écriture
Sur le voile d'un seul manque
D'un seul cri: JE TE VEUX !
Alors demain je viendrai
Te chercher
Et te conduirai jusqu'ici
Pour l'amour
Puis quand tu seras reposée
Je te demanderai : puis-je te suivre un maximum ?
Et nous inventerons
Ivres
De désirs inassouvis
De longue
Des lieux pour nous retrouver encore
Je ne cesse d'imaginer tes yeux
Où je me plonge
J'y plongerai souvent
Ils sont tes profondeurs
Et je m 'y jetterai tu sais
Comme en chute libre dedans
Jusqu'à la nuit de cette nuit
Où je veux glisser dans tes plis
Cette nuit
Lorsqu'elles se tairont
La nuit les cigales se taisent
Nous les remplacerons
En bruissements de baise".

 

Une main, un avant-bras, déposent un crayon à mine et des feuilles pleines de mots sur le coin d'une table basse, à côté d'une pincée de tabac blond prête à se faire rouler. Un pied, une jambe, quittent le hamac accroché en diagonale sur la terrasse, et prennent appui sur le béton tiède avant de s'engager sur la fraîcheur du carrelage à l'intérieur de l'appartement. Ouar frôle les fines feuilles d'un palmier artificiel et bouscule au passage un mobile accroché à une palme et équilibré par six perroquets réduits en bois peint. Six teintes différentes. Un blanc, un mauve, un orangé, un jaune, un bleu, un vert. Il arrive au téléphone et compose un numéro. S'allonge sur une natte de raphia, le dos bien à plat, porte le combiné à son oreille en fermant les yeux et d'un sourire gonflé d'émotion laisse échapper : "J'ai envie de toi !" Puis il raccroche et brusquement se relève, retourne à son hamac, les lèvres pincées toujours par le même sourire. Entrouvre les mailles multicolores et s'y dépose en s'assurant d'un balancement suffisant. Le regard perdu sur l'autre versant du port où les masses de bâti font comme des plaies aux collines de pins, il la voit souriante pensant à sa réplique. Ou bien est-elle très occupée ? L'émotion tangue puis dodeline. Cinq minutes après, driiin... Il accourt, il décroche respiration suspendue. Ça va ? Voix aiguë légèrement cassée, c'était elle. Il répond, les yeux fermés pour mieux la voir. "Tu es ma sirène. Celle que j'ai vu l'été dernier sur un raffio dans la Caspienne. Tu te souviens ? La Chanson ? Comment tu es ? Bien, j'espère ? Belle ?" Elle répond : "J'ai beaucoup de boulot. Et toi, tu as fini ?" "Oui, je suis vidé alors je t'appelle. Ça fait deux jours que je me retiens en pensant que tu allais le faire, mais je n'ai pas tenu davantage. Pourquoi tu ne m'as pas appelé ?" "Je ne voulais pas t'embêter." "M'embêter ? Mais comment peux-tu penser une chose pareille ? Tu n'as pas envie de parler à quelqu'un qui t'aime ? Mais peut être que tu ne m' ..." Elle lui parut sur la défensive et lui expliqua qu'elle gardait une marge pour ne pas risquer de devenir dépendante de l'Amour. Elle lui précisa qu'elle ne faisait qu'appliquer là un principe qu'il lui avait lui-même énoncé un jour. "Mais on fait ça lorsque l'autre ne s'engage pas ! Tu penses peut être que je ne m'engage pas assez !" "Peut être ?" Répondit-elle, tendrement économe. "C'est ça chacun attend l'engagement de l'autre !" Enchaîna-t-il avide de tout comprendre. "On ne peut être sûr d'une destination que si l'on a la force pour chaque pas ! Je te veux au plus tard demain !" Elle ferma ses paupières sur un sourire d'amour et le rassura : "À demain !"


Le lendemain, il était brûlant de la regarder, de la toucher, de poser ses lèvres sur sa peau. Elle resta plutôt muette et d'une autre température. Depuis, il attend qu'elle ait la même envie que lui. Depuis, il ne l'a plus prise dans ses bras. Depuis il attend qu'elle s'approche. Il attend qu'elle l'appelle. Et tout en s'inventant des sonneries de téléphone, il se persuade, raisonnement infaillible à l'appui que son état d'amoureux l'isole plus qu'il ne le rapproche d'elle. Il passe des heures à tenter de mater son émotion libidineuse pour ne plus en souffrir. Il lui fallait ne plus penser Liéna comme il se pensait lui-même. Certes il y avait chez elle ce trouble d'amour qu'il avait eu l'impression de lui causer le jour de leur première rencontre. Elle lui raconta comment elle en avait pleuré de sa déclaration ; elle n'osait y croire. Ouar affichait un fatalisme confiant quant à l'avenir de leur relation. Par moment cela semblait la satisfaire et à d'autres, elle prenait cela pour de la peur de s'engager. Elle avait besoin d'être enlevée ; elle l'avait exhorté à l'emmener au Mexique mais la réalité était tout autre. Ils en étaient conscients. Ils n'avaient pas les moyens de s'aventurer aussi vite dans un réel merveilleux. Alors ils s'abandonnaient par dépit ou par consolation à l'accablante torridité de leurs noueux désirs . Mais Liéna se taisait depuis plusieurs jours. Ouar s'accrochait à sa propre lucidité comme l'alpiniste au roc. Il n'avait pas d'autres choix que de continuer à avancer sans elle.


"À mourir, je mourrais en marche, debout et non pas recroquevillé sur moi-même, les bras sur le ventre lacéré. J'ai posé mes mains et ma bouche sur elle et avons collé nos corps nus et merveilleusement donneurs. Nous nous sommes pris d'amour. Et alors ? Et alors c'était bien ! À la prochaine !" Il parvenait ainsi à se défaire de son emprise.. "Tant qu'elle me plaira, tant qu'elle ne refuse pas de me prendre ou de se donner, je lui ferai des signes d'amour. Elle ne me dit pas tout d'elle. Je ne sais pas tout de ce qu'elle vit !" Il tentait de la comprendre mieux, histoire de mettre en lumière ce flux et ce reflux de sentiments qu'elle mouvementait en lui. Qui était Liéna ? Comment pensait-elle ? Il lui avait écrit plusieurs poèmes qu'elle avait pris chaque fois plaisir à lire presto avant de les plier dans son sac à main. Mais quand ils se retrouvaient la nuit, parfum vanille et vent iodé, pour se lécher et jouer à cet amour urgent et intensément providentiel, s'aimaient-ils vraiment ? "Non, c'est un jeu, une mise en scène qui colle, mieux même, qui prend racine en nos personnes. Mais chacun joue son unique rôle. Elle ne ment pas. Elle joue bien !" Se disait Ouar pensif, suspendu dans son hamac. La lumière saturait. Le soleil n'arrivait pas à marquer sur la nudité de son corps vautré. Sans doute à cause de la légère brise marine installée en gaze dans l'azur. Les cigales synthétisaient dans le silence atmosphèrique de ce jour de juilIet. Le soir descendait au ralenti et enflammait l'horizon d'un bouquet d'orangés. Et comme un fantôme, sa muse revenait taper à ses nuits d'écrivain. C'est bien elle qu'il recevait ces soirs-là entre le rituel du pistil et le verre de vin doux, pour lui écrire encore ces vers :

"Je te donne tous les pistils et tous les mots de mes nuits
Et je rigole dans ma gorge le vin doux de l'amour
Puis je repars à la vie
À la réalité qui m'ennuie
Ah ses bruits
De divertissement
Quand médiocrité de l'homme m'étouffe
C'est bien de la mienne dont je souffre
Et dont je suis
En pensement"

   
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Fin du Roman "UN AN AVANT LE MUR"
Dans cette terre de Toulifornie, il se sentait condamné au surplace, au calme plat qui menace d'anéantissement, de mort passive, de vie délaissée en plein soleil, desséchée. "Rame à mourir, tu ne l'auras pas choisi. Ah bien sûr, il ne fallait pas vouloir t'aventurer en mer ! Allez crie, ça te fait du bien, crie-le cet acte qui t'épuise. Et en cadence. Ra...mamou...rir ! Ra...mamou...rir ! C'est ça. vas-y, cent fois, mille fois, puis quand tu sens ton corps qui s'endort, que ta voix le suit, que ton esprit s'avoue vaincu, alors tu sais que tu n'as plus qu'à te laisser aller au repos. Au dernier repos. Allongé sur le dos, bien à plat, bien couvert. Ni froid ni chaud. S'endormir vraiment. Une bonne et ultime fois avec un sourire de bien-être sur la gueule. Le sourire de l'esprit qui accepte que le corps le lâche. Les yeux cherchant à s'accrocher aux étoiles. Mais tu ne les vois pas, le ciel est chargé d'eau. Ça va péter des voiles !" "Allez qu'il crève aussi, le ciel, avec moi en ami ! Je n'ai que lui !"

Alors la voix chante encore. A peine audible de l'intérieur, pour te faire un dernier plaisir. Tu vas dire un mot ou quelques-uns bien choisis ! C'est ça, cherche-les mais pas trop longtemps ! Et puis non, pas de mots ! Tu veux tellement qu'ils soient beaux, qu'ils soient pleins et justes que ton extrème fatigue ne te permet plus de les laisser jaillir de ta gorge. Économie du souffle et tu dors. C'est le noir absolu. Tu ne ressens plus rien. Plus même le ni froid ni chaud. Tu ne vois plus rien malgré tes yeux ouverts. Ni la nuit, ni la pluie. Tu ne verras plus de matins lumineux. Tu n'entends même plus le clapotis de l'eau contre le bois de ton raffio. C'est le calme plat, la mer morte. Tu n'espères même plus le moindre courant porteur vers une terre ou une autre, au hasard.

Tu étais bien sur la plage du désert. Sur le flanc de la dernière dune, aux pieds des baisers de la mer. Là, dans leurs plis. Tu y reviendras peut-être car ce n'est pas fini, la mer porte encore ces trois planches où tu reposes, vidé, durci, desséché, ne sentant même pas que tu es presque mort.

A quoi as-tu pu penser pour que s'imprime ce sourire, sur ton visage figé ? Est-ce le souffle de la béatitude dont la quête te paraissait vaine, voire superflue, et qui désormais te colle au faciès tel un collant Dim sur un dernier gag d'auguste ? C'est ça, tu as un gag dans la tête ! Mais tu t'es tourné en position latérale pour respirer un peu encore ! Tu entends des rires d'enfants, des braillements qui se rapprochent, des bouts de voile qui clappent au vent. Tu voudrais rire aux éclats ! Tu ne peux pas ! Et tout à coup tu mimes un cri de douleur qui te casse le délire ! T'as senti comme un coup de bec dans ton cerveau ! Attention reprends sourire sur ta peur pour éviter le chaos ! Ressors ton gag vite ! Tu ne te commandes plus ! Léger, léger... Un aigle se pose sur la mer ! Là ! How, Tu nais plus ?

Tu aimais tant reconnaître, d'une humilité de lama, la banalité du processus de devenance qui met en marche l'être. Tu vivais avec la raison de ne pas vouloir suivre un scénario dont la fin est connue d'avance. Avance. L'Homme ne saurait pas qu'il ait à mourir, qu'il aurait cet air ravi de trouver la vie ravissante ; mais la vie nous ravit et la mort nous ravit à la vie ! C'est l'absurde paradoxe que le chaman puis le clown, ou vice versa, ont la lourde tâche de résoudre depuis toujours !

C'est marrant ce mot qui va si bien dans les deux sens, à cet instant fugitif du passage à l'oubli, juste avant que la vie ne s'arrête. Juste le temps de penser au mot ravi pour que s'exprime machinalement ce sourire qui accepte l'annulation de soi. Oui c'est cela ! Car tu l'étais, ravi de la vie, mais cela ne se voyait pas, parce que tu souffrais d'avoir à savoir et d'avoir à grandir. Et les courants t'emmènent malgré toi. Où échouer ? Tu parlais de rivages mauves contre les parois lisses et courbes de l'univers. Tu étais venu à l'air et à la lumière ; tu as connu le vertige des grands éléments qui t'aimantent ! Et l'aigle blanc a fait fuïr les goélands qui t'avaient déjà pris pour charogne !

Le vent qui hante les falaises
La mer tapis roulant de mercure
Epais et lourd quels malaises
Font naître en moi ces images pures

Quelle grandeur quelle force
M'aspirent dans l'élan des nuages
Aux bouleversantes formes
Dans mon esprit en nage

Quel esprit ou quelle autre chose
Quelle cause d'où me vient ce vertige
Je connais des mots comme l'apothéose
Je me sens grandir et mes sens voltigent

Dans le grandissime l'hypnose
Retient mon corps se libère l'oiseau
Qui survole ma névrose
Infime et solitaire bateau

Ils prennent le vent et le large
Simples appâts dévorés par la Mer
Mes yeux se ferment sans recharge
L'horizon m'échappe et je les perds

Moi trop faible sans doute
Mais forte est lïmagination
Qui solitaire fait sa route
Vers je ne sais quelle sensation

Jai mal mais je suis ivre
Peut-être est-ce la peur
De ne plus pouvoir vivre
Avec un aussi piètre moteur

Jai recouvré mon cadre de vie
Celui où se meut un homme
L'oiseau revient le navire s'est enfui
Divaguant au lointain sur les ondes

Le vent le ciel la vie la mer
Monde puissant qui m'affole
Est-ce que le navire se meurt
Non ma sublimation vole

"Sublimation, oiseau de transcendance, je me souviens et tu me reviens !
À toi je lègue ma devenance, ô toi qui vole en mon destin !"

Ouar pouvait contempler la Beauté en lui. il retrouvait cette paix et cette grâce qu'il s'était découvertes à vingt ans et qu'il s'efforce de développer en réalité. Il y repensait d'autant plus que la tempête battait en lui. Quoi ? Vouloir la paix très haut, dedans soi ? Vouloir jouer, donner du beau ? Donner de cette quête sans cesse en mouvement pour la joie de n'être plus ?

L'écrire pour en finir.

Ce sont des musiques et des filles qui parlent d'amour et qui donnent bien de l'allure, du regard et des voix, codifiant le silence de ces nouvelles terres que je n'aperçois pas. Invente-les, n'attends pas ! Quoi, calme plat ou illusion d'avancer ? Attendre ou ramer encore ? Avant-bras, tirez, je chante parce que je n'en peux plus de ramer. Attendre quoi ? Le vent ? Et s'il ne se lève jamais ? Jai un moteur dans la poitrine et un cap dans la tête, alors pas question d'arrêter ? Pas le choix, en vie, condamné. Avant-bras. tirez ! Aller j'y suis, donc j'y vais ! Audace ou nécessité programmée ? Et si je n'étais jamais faiigué ? Si je les vois, je plonge, je nage pour mieux les embrasser. Connerie ! Inutile ! Tu ne dois pas varier ton effort, ni ton geste. Rame encore ! Tu ne sais plus que ramer ! Quel art ? Ramer ! Aime ramer en ayant mal nulle part. Ni aux épaules, ni au fessier. Je n'ai pas mal puisque je ne m'arrête jamais. Équilibre dans le déséquilibre, je n'en peux plus. Je veux une plage ou bien mourir. Là, ça y est, une terre, un sommet ! C'est lui, Je le vois ! Moi ! Volcan ! C'est Iui ! Jy suis ! Je le savais ! Je le sentais ! Je le chantais !

Il marchait, il marchait, talon droit, main gauche en arrière, il marchait, pointe talon pied gauche. main gauche en avant, il marchait, il marchait tout le temps. Les dunes qui glissent sous le vent font des plis où je trace pas à pas sur l'ennui, une ligne que le désert oublie. Puis la plage où se caressent jour et nuit la Terre et la Mer qui sablent la force et le sel de mon défi. Ah le lent mouvement, que je passe en silence en cadence en avant, qui tire qui me pousse et me crie :"Avance".
Il ramait, il ramait bras tendus vers l'horizon sans terre, il ramait, poignets soudés épaules en arrière, ramenés, il ramait tout le temps. Les vagues qui glissent sous le vent font des plis où je brasse rame à rame à la folie, une ligne que la mer engloutit. Ah le lent mouvement, que je pense en silence en cadence en avant, qui tire qui me pousse et me crie : "Avance vers la lumière et danse"

Après le grain de sable dans le désert, ma barque sur la mer, l'aigle blanc, les rames, le regard en dedans, sur mon sommet, je veux crier TERRE ! Et maintenant la jungle où je vais devoir traîner mes ailes. J'ai débarqué sur des rivages mauves. Marché sous les bas bananiers, les séquoïas géants. Par une nuit de février, sous un soleil de dix mille ans. Ah ces rivages qui me sauvent, ils sont nuités évanescents. Mes pas fant des traces mouillées sur la terre noire vieux sang. Et j'avance, et j'avance, et comme un fauve eh, vers un bonheur plus très distant. Le bonheur, Ojos négros, qui es-tu ? Le bonheur, c'est de la musique et des couleurs, des tam-tams plein le moteur et des chants ! Je les entends ! Ils viennent d'elIes ! Qui elles ? Elles qui chantent pour une harmonie toujours plus belle et différente. A chacune d'elles je suis beau ! Mais à elle je mourrai ! Ojos négros, qui es-tu ? Liéna, c'était toi, je voulais ! Janav, silence, ce n'est pas toi et tu le sais ! Alors Ojos négros, qui es-tu ? Je t'inventerai et je te rencontrerai parce que tu es, c'est sûr ! Tu n'es pas Silée ! Pensait Ouar, puis comme s'adressant à celle qui l'aimait sans désir. "Tu pourrais devenir cet être. Tu en as le hasard mais pas l'absoluité. Non, Ojos négros, c'est elle qui m'attire et que J'ai vue passer. C'est un mouvement, une allure délicate et aussi puissante qu'aérienne. Une silhouette hâlêe, nue, discrète, élancée et qui pense à moi de derrière son visage. Ah la tronche que j'ai ! Et mes cervicales pas bien calées. Colonne vertébrale, arbre seul dans la forêt, je l'entends. Est ce qu'elle me voit ? Je suis comme elle, quelque part au monde. Non, elle ne me voit pas ! Elle passe deux fois ! Je l'aperçois ! Trop loin pour crier, pour la toucher. Dans la foule qui grouilleroule, plutôt que de se rencontrer, se perdent les probabilités. Pourtant c'est elle sur cette image arrétée, subliminale. Je crois l'apercevoir. Etait-ce vraiment elle ou l'ai-je interprétée ? Sous ma peau nue qui se retend, jusqu'à des bras ouverts pour moi, c'est un ballet immensément beau qui me plait, qui n'en finit plus. À toi ces mots, Ojos négros, qui dansent et viennent te mourir dessus. Tous ces mots Ojos négros, c'est de la musique et des couleurs, des tam-tams plein le moteur et des chants. Tu me vois pas ? Eh Ojos négros, c'est moi, et c'est toi ! C'est pour toi que je suis venu ! Tu me vois pas, je suis déchu ! Dans mes errances au fond des soirs, sur tes rivages mauves, jusqu'à ta source et tes yeux noirs, j'avance encore ! Monter jusqu'au sommet et m'envoyer. Audace ou connerie de mégalo raté ? Folie ? Et après ? Tu l'écris et tu le fais. Et tu auras gagné. Tu auras créé l'image avec de ton réel, avec de ton être, et tu seras devenu ce que tu te fabriquais. Ça te va ? Alors fais-le ! Dépasse ta création ! Agis-la ! Vis-la ! Tu y es, t'as gagné ! Sublime, merveilleux, mieux que magnifique, superbement seul !

Ouar s'engage sur la crête des roches mauves tantôt trainant, tantôt portant à bout de bras ses ailes flétries fanées, humides lourdes écorchées. Allez grimpe, le soleil disparaît dans son voile tyrien. Il s'en va voir ailleurs d'autres êtres humains s'animer et user un peu plus de leur coeur. Rattrape-le là-haut. Prends-le dans ta paume comme sur la photo composée au Trou de l'Or avec l'ami Caroubi qui te vouait toute son amitié mais qui ne comprenait pas que c'était la lumière, la grande clarté qui te faisait avancer. Et que l'amitié ou l'amour ne sont que des réconforts, des accompagnements, des récompenses d'homme. Seules les images te guident. Et celle-ci, cette photo, te revient encore de ces moments où, tu t'en souviens,
tu découvrais la dimension poétique de ton être. Mi Icare, mi Sisyphe, tu te poses au bon moment, à la bonne distance et tu plonges ton regard dans la source de lumière. Et là, tu es heureux car tu as arreté l'image de ton utopique désir : aller accompagner le soleil là-haut sur la crête pour lui prouver ta reconnaissance. Tu voulais le faire, puisque tu en as imaginé la scène et voulu en prendre la photo. Tu as usé de la perspective pour te donner l'illusion de caresser Ia boule de feu. Mais tu ne crées rien, tu représentes tout au plus, tu lèves des voiles quand tu ne dérobes point. Tu révèles et tu réinventes à peine, à lourde peine. Car à proximité, tout n'est rien moins qu'apparence et rang social, titre ou autres moyens d'usurper sa propre conscience à son unique vérité, à son art. Et tout devient si faux que tu te lèves et repars le crier en commettant l'acte juste, au delà de la résistance, l'acte constroy.

Et Ouar arpente le dernier chemin. Celui qui le mène au sommet pour clamer sa banalité en silence. Agir seul en soi et en tout. C'est l'escalade. L'effort du corps aussi. Il s'agrippe, il grimpe, il joue son va-tout. C'est l'escaladeur fou. il grimpe sans arrêt, sans rappel, il veut toucher du doigt le ciel. Il grimpe avec à sa ceinture pendues, les grandes ailes de l'aventure foutue. Aller jusqu'au bout, suspendu comme une émotion qui doit s'en sortir seule et s'expliquer. Raison et force se sont liguées pour le faire grimper encore.

Allez, vas-y vieux, vas-y. Ça y est. Tu y es. Au sommet, t'y es. Allez tu vas les déployer tes ailes, ô désir de voler. Mais tu as peur, ça te vrille le coeur. Cest le moment, le grand. Allez. sauter. T'as mis la mort à tes pieds. Cest le point d'inflexion. Embrasse-la l'émotion. Balance-la l'émotion. Coup de machette au cordon.

Envolé.

Y a de l'air tout autour, c'est la vie qui te fait sauter tôt ou tard du haut du hasard-amour. Les résignés de l'espoir s'accordent mal avec le sens de l'Histoire, de peur, d'impuissance... À savoir. T'as de l'eau tout autour des yeux des cieux il pleut des larmes de joie, d'adieux aux hommes à leurs lois, ma foi. Les désignés de l'espoir s'en vont ainsi les ailes usées dans le soir par hasard-amour, à savoir. Vu dans l'air tout est plus clair. C'est la mer à boire.

Eté. Septembre. Les grosses et grasses chaleurs sont passées mais Ouar étouffe encore sur son balcon où il termine d'écrire son livre. Une seule cigale, la dernière tient bon et l'accompagne péniblement jusqu'au tout dernier mot "Boire". Puis, il se roule un dernier sticco dans un rituel de satisfaction et le fume l'air ravi de s'imaginer heureux. L'herbe apaise le volcan mais le feu reste en braise au fond de sa gorge, lieu du passage entre le réel et l'idéal, entre l'Homme et son point de mire, l'Être accompli. Les mots portent sens et de sa guitare Ouar colore le chant de sa devenance. C'est ainsi qu'il maintient le degré suffisant de sublimation lui permettant de vivre le constroy mouvement entre sa vision du monde et les contingences de l'Histoire. Il trouvait que seul son moi lyrique pourrait le soulager de sa condition de condamné à aimer la vie jusqu'au bout de sa trajectoire.

Il savait qu'il aurait encore à souffrir en donnant à chaque instant de son souffle pour laisser à comprendre, à voir et à entendre par soi-même la composition du Tout. TAN TA TA TAN. De tout temps attaché à la probité et à la recherche de l'image arrêtée sur des instants de bonheur, il devenait.


Si la réalité ne se dépasse pas, elle se porte. L'image, elle, nous transporte entre espaces, temps et langages. Elle est la liberté et le pouvoir de marcher dans l'Histoire au gré de son être.


Petit, paumé... Vu d'en l'air tout est plus clair.

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